Boris Vian. Quoi de plus vivifiant? Certes, « Les femmes, et le jazz – tout ce qui importe vraiment », comme il le disait si justement lui-même. Mais il est ici question de lui – et de son oeuvre. On connaît surtout Vian par ses romans consistants comme L’écume des jours, L’automne à Pékin ou L’arrache-cœur. Mais Le loup-garou, recueil de treize nouvelles écrites en 1945 et 1952, nous offre un bref mais combien révélateur aperçu du fascinant imaginaire de son auteur. Tordant.
Le Loup-garou. L’histoire classique, mais inversée : celle de Denis le loup-garou qui, mordu par un vampire dévergondé, découvre progressivement, à son grand désarroi, ce que c’est que de vivre dans la peau de l’homme…
« Denis était à peine redevenu loup qu’il s’interrogea, tout en trottant vers sa demeure, sur l’étrange frénésie qui l’avait saisi sous sa défroque d’homme. Lui si doux, si calme, avait vu s’envoler par-dessus le toit ses bons principes et sa mansuétude (…) Quel grand malheur que cette morsure (…) Heureusement, pensa-t-il, cette pénible transformation va se limiter aux jours de pleine lune. Mais il lui en restait quelque chose – et cette vague colère latente, ce désir de revanche ne laissaient pas que de l’inquiéter. »
Et ce n’est qu’un début. S’il s’agit certes là de la meilleure des treize nouvelles, les douze suivantes ne cessent de nous surprendre par leur originalité.
Un Cœur d’or : Aulne, qui a volé le trésor du père Mimile, est mortellement interrompu dans sa fuite par la naïve malice d’un gamin, Brise-Bonbon.
Les Remparts du Sud : Vian raconte une interminable virée, invraisemblable, détours inclus.
L’Amour est aveugle : Une ville noyée dans un brouillard aveuglant aphrodisiaque, et la solution des citadins une fois celui-ci dissipé.
Martin m’a téléphoné : La banale soirée d’un joueur de trompette et ses deux co-musicaux hollandais en prestation devant le gratin militaro-humanitaire.
Marseille commençait à s’éveiller : Le pacte salutaire d’une agente secrète qui demande au boucher de l’égorger plutôt que de remplir son mandat mortel.
Les Chiens, le désir et la mort : Un chauffeur de taxi et son étrange cliente nymphomane qui a besoin d’heurter, d’écraser quelque bête animale, sinon humaine, avant de s’envoyer en l’air…
Les Pas vernis : Innombrables trouvailles d’un petit escroc qui se fait tour à tour voleur puis revendeur, question d’agrémenter son sursis prolongé.
Une Pénible histoire : Un passant sauve une fille du suicide…pour mieux prendre sa place…
Le Penseur : Les évidentes réflexions d’un petit génie…
Surprise-partie chez Léobille : L’aventure d’un grand timide qui finit par bien s’en tirer une…
Le Voyeur : Pauvre skieur converti en bonhomme de neige par trois skieuses lesbiennes surprises dans leurs ébats.
Le Danger des classiques : Comme quoi la lecture des grands classiques peut en allumer plus d’une…
Poétique, érotique, satyrique. Absurdement délirant, absolument délicieux. Un humour, de toutes les couleurs, noir inclus.
Né en 1920, Boris Vian est surtout connu pour sa personnalité. Fan de femmes et de jazz – Duke Ellington en tête, et de coeur –, il anima longtemps les chaudes soirées de Saint-Germain-des-Prés. L’homme, l’artiste, auteur, compositeur et interprète, notamment de la célèbre chanson Le Déserteur (mais aussi de poèmes comme Je voudrais pas crever, de pièces de théâtre comme L’équarrissage pour tous, etc.) meurt à Paris, le 23 juin 1959, en pleine Première de l’adaptation de son roman noir J’irai cracher sur vos tombes.
Pour mieux comprendre l’œuvre, on lira sur l’homme, notamment l’édifiante biographie illustrée « Boris Vian : vérité et légendes », aux Éditions du Chêne.