vendredi 3 août 2007

MOTS À MAUX


Pierre Jourde, La littérature sans estomac,
Éditions L’Esprit des péninsules, 2002.


IN TRO-U

Le titre, comme l’image en première page, parle de soi. Une littérature qui n’a pas de ventre, avec un bouquin sous une patte de chaise pour la mettre à niveau – et encore. Curieuse coïncidence quand on déguste et digère tout juste l’œuvre de grands hommes, romanciers bien avant le marchié.

Pourtant, il n’y a pas que des grands. Il y a des petits, genre Dupont-Dupond & monsieur-tout-le-monde format chiant et géant, qui se veulent et se vêlent encore plus grands. Ça fait des tout-petits. Des minuscules, qui se vendent et se vantent encore plus couramment, en majuscules. Je le savais et ça me suffisait; comme pour les films de série D – débile –, je ne m’y intéressais guère. Mieux à faire.

C’est donc malgré moi que je tombe sur cette fiévreuse analyse – diatribe! – de Pierre Jourde, La littérature sans estomac, Éditions L’Esprit des péninsules, 2002. Prix de la Critique de l’Académie française. À la fois, ça craint et redonne confiance.

Ça craint parce que ce type de littérature en vogue – mais sans vigueur – révèle beaucoup sur la nature du lecteur devant et de l’auteur derrière – dedans! – ces œuvres.

Le pire, c’est que « des textes factices, des phrases sans probité, des romans stupides ne restent pas enfermés dans leur cadre de papier. Ils infectent la réalité. Cela appelle un antidote verbal. » Heureusement, on peut encore se défendre, sinon attaquer.

Car Jourde redonne aussi confiance, surtout. Ce qu’on prenait jadis pour du médiocre – sinon de la merde – n’est, somme toute, pas si mal. « Qui se compare se console? » Toutefois, il nous faudra mieux.

Avec La littérature sans estomac, on trouve déjà, mieux : une analyse critique, croquante, mordante, soigneusement ficelée. Qu’un essai – un pamphlet, en fait – fasse mieux que du roman populo, c’est beau, bon et bien. Alors, allons z’enfants.

(On excusera l’auteur de ces lignes pour tant de citations, mais les auteurs sont généralement plus éloquents que leurs analystes…)

PLAN D’ATTAQUE

Pierre Jourde divise ces hors d’œuvres en « deux principales espèces, caractérisées par le style : parataxe voyante, minimalisme syntaxique, lexical et rhétorique (écriture blanche). Inversement, syntaxe complexe, métaphores flamboyantes, énumérations (écriture rouge). » S’y greffe une troisième espèces, plus récente, qui remporte un certain succès : l’écriture écrue. Folklorique, elle s’égare entre les deux espèces précédentes, bourrée de « petits objets du quotidien, gens de peu, prose poétique, effets stylistiques discrets mais repérables (…); elle fait accroire que son originalité tient à la modestie de ses objets. »

Pourtant, pour ces nains de la littérature, devenus géants par l’artifice des choses et l’archi-farce des choses (leur sale don de la répétition se fait contagion! Vous verrez : voyez!?), c’est la folie des grandeurs – laquelle révèle nulle (en effet) autre chose que leur petitesse. Ce qui les distingue?

« Leur audience: certains on touché un très large public (Houellebecq, Delerm, Angot, Beigdeber), d’autres demeurent relativement confidentiels (Redonnet, Chevillard); leurs genres: les romances sentimentales d’Emmanuelle Bernheim voisinent avec les crudités autobiographiques de Christine Angot, les proses poétiques de Philippe Delerm, le théâtre déroutant de Valère Novarina, les romans policiers politiques de Gérard Guégan, la poésie d’Alain Veinstein; leurs styles: rien de commun entre le néo-romantisme flamboyant d’Olivier Rolin, la pauvreté franciscaine de Christian Bobin, la loufoquerie inspirée de Navarina, le réalisme sarcastique ou mélancolique de Michel Houellebecq ou de Frédéric Beigbeder. »

Autant de textes variés, avariés à souhaits qui « témoignent de notre tendance naturelle au manque d’exigence, à la régression, au recroquevillement, et les exploitent. » Car ils vendent, même si ce ne sont que trop rarement les meilleurs qui vendent effectivement. « Un auteur au plein sens du terme met du temps à se faire admettre, il ne rapporte pas vite. » Vivants, Vian, Kafka, Dostoïevsky, ont tous vécu maigrement de leurs écrits. Ce n’est certes pas une raison, mais ça en dit long.

Heureusement pour le lecteur, comme pour l’auditeur musical, « bien souvent, le grand auteur découvert à l’occasion de ce genre de coup ne tarde pas à replonger dans l’anonymat, victime d’un manque de talent dramatiquement associé à une surcharge de succès. »

Et quand ils s’accrochent, non plus qu’au livre, mais à « tenir des rubriques, parler de tout et de rien dans des magazines féminins, donner leur avis sur la marche du monde, la littérature, n’importe quoi (…) on a un peu honte, non seulement pour ceux qui s’y livrent, mais pour la littérature en général, peu à peu ravalée par ces auteurs au rang de bavardage journalistique. »

PAMPHLET

Voici donc la dénonciation détaillée d’auteurs français contemporains ayant publié au cours des années quatre-vingt-dix, et qui ont à tout le moins en commun la pauvreté littéraire.

« Par calcul ou par bêtise, (leurs) textes indigents sont promus au rang de chefs-d’œuvre. » Si « la littérature, ce sont des mots qui ne se satisfont pas de n’être que des mots », avec ces auteurs, ils (les mots) sont certainement loin de s’en satisfaire; ils s’en dégoûtent.

Aucun règlement de comptes personnels, comme c’est trop souvent le cas dans le milieu artistique, surtout littéraire, d’autant plus français – qui aime à polémiquer pour polémiquer et, du coup, à se prétendre ‘humblement’ philosophe. Ici, « le jugement concerne à chaque fois l’œuvre dans sa particularité. » Il s’agit donc d’une critique, parfois violente, pas tant de l’‘écrivain’ lui-même que de son écriture et de l’écrit qui en découle.

« Des ouvrages médiocres, simples produits d’opérations publicitaires, sont présentés par leurs éditeurs, de manière explicite ou implicite, comme de la vraie littérature. » À la lecture, on a « le sentiment de se perdre un peu dans la fuite des mots, avec l’idée vague que ce sont de jolis mots. Bref, une impression de littérature. »

Pire qu’un coït interrompu, un accouplement plat qui plafonne, ça laisse un arrière-goût, amer. Si on pénètre le cercle, ce n’est certes pas pour boucler la boucle; autant la boucler – pas notre ceinture; leur gueule!

On reste sur sa faim, sa soif. Rien pour boucher un coin; à peine si on débouche au coin de la rue…pour dégobiller l’indigeste ingéré. Mais comme l’alcool frelaté, « ils rencontrent un certain succès, en raison même de leur vacuité. » Pourtant, à des miles à la ronde, « on y repère les grands traits d’une esthétique du vide. »

On vous épargnera les extraits, mais « qui, sauf cas de perversion mentale, peut s’infliger le supplice de lire deux cent cinquante page de cette dégoulinade verbale ininterrompue? (…) Bien entendu, personne n’a pu lire ça. En revanche, ça s’est vendu. Le phénomène n’est pas si mystérieux qu’il en a l’air : en littérature, on vend aussi de l’image. Un roman qui a pour sujet un musicien rock devenu épave, roman intitulé Cancer, écrit à dix-sept ans, par un individu (Mehdi Belhaj Kacem) qui fait regard mauvais sur une photo floue en quatrième de couverture, genre attention je ne rigole pas, un tel roman a tout pour plaire aux Inrockuptibles, engendrer de la copie, créer une légende. Peu importe, après tant de valeur ajoutée symbolique, qu’on le lise ou pas. »

D’ailleurs, on ne lira pas. Savoir que ça existe rebute déjà.

Certes, « rien n’est bon ni mauvais en soi. Mais, dans la plupart des cas, on exploite un genre pour laisser croire à un contenu. » Ce genre, c’est nul autre que celui de « l’autofiction » : témoignage je-me-moi narcissique, tape-à-l’œil sensationnaliste, « réservoirs (bourrés) de clichés » et de ce qui se vend le mieux – sexe et violence, dans un décor exotique. C’est « le bon vieux schéma de la littérature à l’épate. »

Tout pour séduire, avec poudre aux yeux, aux nez, à pieds…« L’effacement des personnages, l’éclatement de la narration au profit de la solitude de la voix narrative, servent souvent aujourd’hui d’alibis à la simple absence d’exigence et de talent. (Le second degré, le détournement, l’absence de récit véritable deviennent des signes d’intelligence et de littérarité qui se substituent à l’invention. »

L’élan créateur peine précisément à prendre…son élan. Alors on se pend à son ego. « Ayant l’air de parler des choses, on ne parle que de soi, de sa fine et admirable capacité à accueillir le monde (…) L’écriture devient une petite fête à laquelle il s’invite tranquillement lui-même (…) Le lecteur est en droit de se dire que sa présence n’est pas nécessaire à un repas si le couvert n’est pas mis pour lui. »

Alors on peint, on dépeint, on repeint son jardin, sans vraiment le cultiver. « Voici la littérature microcosmopolite, qui nous envoie des cartes postales touristiques du potager du coin. Ce n’est pas tellement le potager qui est en cause, mais la carte postale. »

Il importe dès lors de distinguer les auteurs qui font semblant de parler des autres pour mieux parler d’eux-mêmes, de l’autre, l’auteur, perle rare, qui parle de lui pour mieux parler des autres.

« La plupart du temps, dans tous ces genres, le résultat est accablant, et sert pour l’essentiel à se rencogner dans le confort de la médiocrité, dans un narcissisme à petit feu, qui n’a même pas l’excuse de la démesure. Pour engendrer autre chose, la confession exige une stature humaine dont ceux qui la pratiquent sont fréquemment privés. Reste cette excuse de la médiocrité : la sincérité. »

Mais ne sont-il pas tous lucides, sincères, authentiques, ces auteurs qui disent tout, et tout cru?

« Le sexe, le vomi, le caca, c’est pour montrer qu’on ne triche pas, qu’on baigne dans le réel. » Dans ce contexte, on en vient (presque?) à regretter qu’il (l’auteur) ne s’y soit pas noyer.

Autant « de romancules, donc, qui ne s’engagent pas et qui n’engagent à rien. On les aborde et on les quitte sans émotion. On a parfois rien détesté, mais on n’a rien aimé… »

Certes, « tout écrivain vise un objectif semblable : réconcilier, dans le livre, le dire et l’être. On ne peut pas reprocher (à Éric Holder ou à quiconque) de tenter, à sa manière, la synthèse. »

Et quelle synthèse! « Une synthèse qu’ils exhibent plus qu’ils ne la réalisent (…) Au moyen de quelques artifices assez rudimentaires, il ne s’agit pas de faire de la poésie, mais bien de ‘faire poétique’. »

Dans un monde où les trois quarts de ses enfants crèvent de faim et de soif, où les autres dépensent 33 milliards de dollars en produits cosmétiques, faussement esthétiques, pas étonnant qu’on se trouve, s’égare et se retrouve dans le factice et, du coup, le ‘front page’.

Quand on croise une aberration, il importe de la reconnaître et, dès lors, de la dénoncer. Pourtant, dans le monde littéraire, on évite. « Le fait qu’on ne puisse pas toucher à un livre illustre la pensée gélatineuse (d’aujourd’hui) : tout est sympathique. Le consentement mou se substitue à la passion (…) L’éloge unanime sent le cimetière. La critique contemporaine est une anthologie d’oraisons funèbres. On ne protège que les espèces en voie de disparition. »

Jourde ne dénonce pas que la médiocrité littéraire, mais aussi, surtout, la complicité de tout ceux et ce qui s’imposent comment autorités, autoritaires, du monde de la plume. « L’écriture produit, (l’édition publie, et) la critique défend, sous le masque de l’exigence, de la littérature bas de gamme. »

LA TEMPÊTE « SOLLERS »

Dès le premier chapitre après introduction de rigueur, Jourde se lance à l’assaut de « L’organe officiel du Combattant Majeur : Le Monde des livres et Philippe Sollers. » Monument littéraire français, Sollers, le dictateur, le Monstre des livres s’est de longue date autoproclamé « spécialiste de la défense des libertés. »

Comme « il n’est guère de dictatures qui ne se réclament de la démocratie et de la liberté », Sollers pourfend la tyrannie de l’autre pour faire oublier la sienne…Le Grand Libérateur, l’homme de génie, distribue, du haut de sa stature, les lauriers littéraires à qui bon lui semble. Pour les autres, les irritants, Sollers, irritable, intraitable, ne saurait les tolérer.

Mais Sollers ne fait pas que vendre des livres. Il écrit aussi. Son dernier-né : « Éloge de l’infini. » Mille cent pages qui regroupent ses réflexions sur tout et sur rien…

Viviane Sauvageau, « la talentueuse thuriféraire capable d’écrire, dans un style d’enfant de chœur freudien étourdi au vin de messe », fière, fiévreuse et fidèle collabo d’entre les nains et niais fidèles de Sollers, souligne dans son « ébriété stylistique » l’infaillibilité de son maître, infatigable, et ce, dans « un style inventif et subtil d’un garde rouge : quelle luminosité, fête de l’intelligence (…) combattant majeur (combattant majeur au même titre que Baudelaire, Artaud, Mallarmé, Rimbaud). »

Insatiable, elle en rajoute et insiste sur « l’altitude inouïe de sa pensée, habile à livrer l’essentiel de la pensée des autres combattants de la liberté, tous précurseurs de Sollers » (Pascal, Saint Augustin, Proust, etc.)

Citant le Grand Combattant lui-même discourir humblement à propos de son œuvre propre, elle précise avec Lui : « Il ne s’agit pas ici d’un recueil mais d’un véritable inédit, chaque texte ayant toujours été prévu pour jouer avec d’autres dans un ensemble ouvert ultérieur. Dans un tel projet, encyclopédique et stratégique, les circonstances doivent se plier aux principes. »

Pour mieux nous situer, Jourde nous éclaire encore : « C’est impressionnant. Si l’on traduit, cela veut dire que Philippe Sollers aurait pu écrire un grand ouvrage encyclopédique, qu’il ne l’a pas écrit, mais qu’une certaine cohérence se retrouve dans l’ensemble des articles recueillis. Bref, il s’agit d’un recueil d’articles. »

« Telle est l’impression générale qui se dégage d’Éloge de l’infini : Philippe Sollers a toujours tout compris avant tout le monde, chacun vit dans l’erreur, la pauvreté mentale, le ressentiment, la misère sexuelle… » Mais pas Philippe Sollers.

« Mais oui ou comment donc reviennent à tous les détours de phrase (avec l’idée, sans doute, que comment donc fait très XVIIIe, marquis insolent, etc.), ponctuation peu radoteuse qui manifeste superbement que ce qui vient d’être dit n’a pas besoin d’être mieux étayé, puisque c’est l’auteur qui le dit. »

Après avoir cité Sollers qui, fin connaisseur, énumère les artistes de génie et vrais penseurs du XXe siècle « qu’il utilise pour les édulcorer », Jourde conclut : « C’est passionnant. Ça a bien un petit côté conférence de musée pour université du troisième âge, ou toast pompeux de banquet IIIe République, mais quelle culture. Quelle sûreté, en outre, quelle audace dans le jugement. »

Ici encore, on reste sur son appétit. Une sucrerie pour finir? Mieux : une devinette.

« Soit un écrivain fin de siècle qui a traversé de multiples allégeances esthétiques, appartenu à bien des écoles, de l’avant-garde au racoleur, publié dans tous les genres; qui a exercé un grand pouvoir dans le monde littéraire par sa mainmise sur des périodiques importants; qui a fini comme une sorte d’écrivain officiel auquel les ministères font des commandes. »

Philippe Sollers…Lassant…Laissons.

EN TRÈS GROS-SIER

Après le gros canon, les petits calibres. Jourde les passe tous au crible : « Pierre Autin-Grenier ou la philosophie de comptoir »; « Philippe Delerm ou la littérature de confort »; le Cinéma de Tanguy Viel, « ennuyeux » et « mal écrit »; « La rédemption par l’idiotie » de Valère Novarina, « illisible »; la « platitude de Houellebecq » et sa tendance à « universaliser la bassesse »; « Le zéro absolu : Pascale Roze »; ou, mieux encore, l’artde la répétition chez Christine Angot.

Avec L’inceste de cette dernière (espérons!), on fracasse les records.

« J’accouchais de Léonore Marie-Christine Marie-Christine Léonore Léonore Marie-Christ… » J’abrège. Ça continue sur dix lignes! Plus loin, toujours dans le même bouquin : « Excitation et excitation, joie et joie, et puis déception et déception et déception… » Sur quatre lignes. Chute : « Déception. » Plutôt décevant, en effet.

Ou dans Quitter la ville – Non, ce n’est pas de Nelly Arcand… –, Angot ne trouve rien de mieux à faire que de parler de ses ventes. Sans doute, ça vend, même si on n’en a rien à foutre. Ça débute comme ça s’essuie.

« Je suis cinquième sur la liste de l’Express, aujourd’hui 16 septembre. Et cinquième aussi sur la liste de Paris Match dans les librairies du seizième. Je suis la meilleure vente de tout le groupe Hachette… »

Et ça continue…Fine mathématicienne (meilleure que romancière, sans doute), elle enchaîne, calcule, déchaîne son génie.

« Sur une base de 50 000 exemplaires vendus, Jean-Marc et Philippe Rey ont calculé qu’ils me doivent, avant déduit l’avance, environ 700 000 francs. Les droits d’auteurs, les droits poche, 200 000… »

Et ça continue. Ça c’est de la littérature!

Jourde conclut avec un appel solennel à la générosité du public pour amasser les 140 000 francs que le Ministère de la Culture a refusé à la pauvre Christine Angot pour son année sabbatique…

Celle-ci, sale, passée à tabac, Jourde retrace des vedettes littéraires connues ou moins connues, comme Camille Laurens, qui acceptent de la prostituer leur personne privée à leur notoriété, mais qui ne voudraient surtout pas qu’on leur manque de respect.

« On tombera sur un morne alignement de figures obligées qui ne ferait plus rougir que des chaisières de Saint-Flour, mais qui pourrait à la rigueur susciter les prémices d’un raidissement chez un notaire tourangeau gavé au Viagra. »

Les chutes, « en forme de phrase nominale, brève et sèche…purement syntaxique, formelle, vide », comme chez François de Cornière et La Surface de réparation : « Et ils couraient. Oubliaient tout…On aurait dit un ange. Qui connaît son rôle. »

« Philippe Delerm a parfaitement raison : La Première Gorgée de bière, au début, c’est bon, mais très vite, on boit avec de moins en moins de joie, on n’éprouve plus qu’un empâtement tiédasse. » Quand ce n’est tout simplement pas la nausée qui vous prend pour cause d’abus de ce breuvage frelaté.

Jourde n’oublie certes pas Beigbeder, sans doute le plus connu de la troupe. Celui qui transpire d’une « fraîcheur de vivre » aussi contagieuse que son « humour juvénile (…) vous bricole un roman comme certains préadolescents bricolent des programmes informatiques (…) Stylistiquement, on reconnaît souvent un mauvais écrivain aux efforts qu’il fait pour paraître avoir du style, à ses affectations de trouvailles qui le font fatalement écrire comme tout le monde. Frédéric Beigbeder est un bon écrivain. »

« L’auteur a compris deux principes essentiels de l’art du roman : A – ne jamais faire apparaître un personnage sans le caractériser rapidement et concrètement. B – comme ce personnage est secondaire, le caractériser toujours de manière négative, ridicule, afin que le lecteur éprouve une agréable sensation de supériorité. »

Avec Dernier inventaire avant liquidation, Beigbeder « pond sur les écrivains du XXe siècle un étron de deux cents pages. Le geste va loin dans le symbolique. Il signifie : voyez, ce n’est pas si difficile, tout cela est à vous comme à moi, tout cela est notre image, ces grands livres c’est vous, c’est moi, c’est de la bonne, de la suave, de l’intime, de la puissante, de la sublime merde. »

Et dans ses œuvres qu’il voudrait bien voir surgir au sommet du palmarès littéraire, Bègue Pédé se met plus qu’en branle; il décharge sa purée génie, mi-cosmique, mi-génitale – rien de comique ni comestible; à peine combustible.

« Grandiose scène finale de la mort du héro (violons, flou, surexposition) : ‘sombrer; travers le miroir; enfin se reposer; faire partie des éléments; des ocres propres aux rayons pourpres (…); boire des larmes de rosée; le sel de tes yeux; leur bleu rigoureux; tomber; faire partie de la mer (…) crawler entre les anges et les sirènes; nager dans le ciel; voler dans la mer; tout est consommé.’ »

Ah! Bon (?). « Du moment que l’écrivain s’exprime comme le premier venu (!), c’est sûr, il resserre le ‘lien collectif’ autour de quelques vérités premières. » Tout est consommé. En attendant que ce soit bel et bien le cas, nous pourrons toujours nous bercer, nous berner des illusions, bornées, de Beigbeder le mort-né, qui « passeront (assurément) à la postérité » : « Cabrioles en cabriolet », « un caméléon camé », « hauts de hurlements », « végètent au milieu des végétaux »…

Trêve de phonobranlette! comme disait si bien Boris Vian. D’ailleurs, une fringale me ramène à lui.

Post Mortem : Contrairement aux précédentes chroniques littéraires, je ne suggérrerai guère de références additionnelles aux lecteurs désireux d’en savoir plus sur les sujets étudiés par Jourde. La seule lecture des extraits nous gardera bien d’en redemander. Pour les pervers, vous avez les noms...