mardi 26 février 2008

OH! NOIR!

« On peut aisément pardonner
À un enfant qui a peur du noir.
La véritable tragédie de la vie,
C’est que les hommes ont peur de la lumière. »
– Platon

Depuis deux mois déjà, c’est clair, « les jours s’allongent ». À 18h pourtant, il fait déjà sombre. Les cieux se teintent alors de couleurs qui hésitent encore entre le bleu, le blanc et le black. Heureux moment pour déambuler dans les rues, discrètement entraîné par Catherine ma copine qui nous réserve une nième surprise. Direction? Bonne question. Je la suis à tâtons, pour fin finalement atterrir au 1631 Sainte-Catherine Ouest. Derrière la façade d’un blanc immaculé, les lourds rideaux sont tirés. Étrange? Je pige aussitôt – futé le fumier! C’est ce resto des plus originaux dont j’ai vaguement entendu parler l’an dernier.
« C’était plein pour la Saint-Valentin. Cette fois, j’ai réservé d’avance… »
Je souris, yeux clos. J'entre.

Le hall est bondé de visages curieux. Invités au « bar », la dame prend nos manteaux, puis notre commande. Menu alléchant. Pour ma part : Champignons portobello aux lamelles de parmigiano, filet mignon sauce aux cinq poivres et asperges, sans bien sûr oublier une coupe rougeoyante. Catherine? L’entrée surprise, les crevettes marinées aux herbes avec risotto aux tomates séchées et, bien entendu, la mousse au chocolat. Suivent les consignes : pas de cellulaire, et en cas de besoin pressant, surtout, vous restez bien assis; interpellez seulement votre serveuse – Esméralda (?).

Tour à tour, une famille, deux couples, trois moineaux, suivent leur hôte, leur « guide » pour la soirée. Arrive le – la – nôtre et hop! Bonsoir. Le noir, oh, noir, total. Rien à voir avec la nuit noire où l’on finit par distinguer les ombres, ni les yeux scellés où finit toujours par filtrer une vague lueur de l’au-delà. C’est un noir nouveau, vaste et profond, enveloppant, envoûtant. On croirait plonger dans le vide – un vide…plein. D’instinct, l’œil, comme le pied du parachutiste néophyte, chercher un écho qui, du reste, ne viendra pas. (Seule ombre au tableau : la lueur rougeâtre des toilettes pour ceux qui doivent s’y rendre, et une autre, blafarde, dans un coin perdu de la salle. Suffit d’ignorer.)

Du coup, dans cette ambiance feutrée, tamisée – à outrance (!?) aux dires des nerveux et des conservateurs –, l’oreille prend la relève. Chaque son prend dès lors tout son sens. Comme le ferait un mélomane avec les instruments d’un orchestre, on peut bientôt isoler à son gré chaque conversation, chaque parole prononcée. De primes abords, ça peut sembler cacophonique, comme quand on se retrouve seul avec soi-même et ses mille et onze dieux et démons – vous voyez? – qui jasent et jacassent envers et avec vous. Mais très tôt, les sens – y compris le sixième, le septième et tous les autres, méconnus – se concentrent avec un minimum d’efforts, d’abord sur soi, et bientôt, sur celle qui vous accompagne. C’est la pleine et totale intimité.

Certes, les pervers y verront-là l’endroit idéal pour tromper sa femme et « troncher sa maîtresse », acheter un ministre, voire achever un gêneur, le tout en toute discrétion. Soit. Pour leur part, voyeurs et exhibitionnistes risquent visiblement de rentrer bredouille : rien à voir, tout à entendre, sentir, goûter... Quand aux cleptomanes, s’ils peuvent se tailler avec la coutellerie sans demander leurs restes, ils seront vite déçus, puisqu’on paie la note à l’entrée sur pré-autorisation du crédit. Non pas que le menu soit exorbitant contrairement à ce que prétendraient les radins de première heure et les fauchés de dernière minute : 30$ pour se régaler d’une entrée et d’un plat plus que principal, le tout dans une atmosphère des plus originales, ce n’est ni la lune ni la mer à boire.

Car on y mange, bel et bien. Une fois à table, la serveuse nous explique la suite des choses : l’aménagement de la table à ne pas troubler question d’éviter les fâcheux incidents; les procédures d’urgence pour les nerfs fragiles et les vessies hyperactives; et ainsi de suite. Le plus marrant, c’est d’entendre ici et là le nom d’un serveur ou d’une serveuse lancé ponctuellement pour une bouchée de pain ou un plein de vin…Lequel arrive enfin, avec les entrées.

« Et le chef, il est aveugle lui aussi? Et puis comment on fait pour se repérer? Et les serveurs? Et puis… » Autant de questions dont je tairai ici les réponses, question d’ajouter au piquant de la chose. Le mieux, c’est encore d’y aller, d’y goûter, dans tous les sens du terme.

Dac. Mais "ça vient d'où ce foutoir de noir"?

L’idée, originale, s’inspire du Blindekuh – « vache aveugle », en Allemand –, un restaurant socialement responsable établi depuis 1999 par le pasteur aveugle zurichois Jorge Spielmann. Jadis, il bandait les yeux de ses invités intimes afin de leur faire voir un aperçu de la réalité des non-voyants. Désormais, le grand public peut aussi, enfin, y goûter. Le concept fait son chemin. Au Québec, Horizon Travail accompagne le projet en favorisant ainsi la réinsertion professionnelle des mal-voyants – dont le taux de chômage avoisine les 70%. D’une pierre deux coups, O.NOIR remet 5% de ses bénéfices à des associations locales impliquées dans le soutien aux personnes affectée d’une déficience visuelle partielle ou totale. La bonne chaire n’aura jamais eu si bon goût…

En somme, voilà-la – et lalalalalalala (Brassens) – un rendez-vous à ne pas manquer. Comment faire, d’ailleurs? Ouvrez grands les yeux : c’est au 1631 Sainte-Catherine Ouest. Avant-dernier conseil : Réservez! 514-937-9727 info@onoir.com www.onoir.org

Pour notre part du gateau mousse qui arrive déjà, suit encore une virée symphonique avec l’OSM, question d'aborder le nouveau monde de Dvorak et la 5e de Beethoven, un bonus signé Denis Gougeon et surtout, Yves Lambert – son chapeau, sa voix et son accordéon, sans parler de sa prestance. Quelle plus belle façon de clore, de poursuivre, que dis-je, la soirée.

Comme disait Gary que je ne cesse de citer, « On ne dira jamais assez le pouvoir des yeux fermés. »

L’événement a ce don de vous remettre les vôtres – vos dons, les miens du moins – bel et bien en place.

vendredi 14 décembre 2007

I SEA...THREE...AND MANY MORE

All? Ready? A year?
Left, but still, there,
Here
&
Now.
A men
&
What an
Omen,
&
What
A
Woman
Named: Y.V.J.
Love ya grand ma,
Still
"On the road again"
Oh! And you'll love what he is, do and...

jeudi 13 décembre 2007

BONNE SEMINE!


« La richesse, cher ami,
Ce n’est pas encore l’acquittement,
Mais le sursis,
Toujours bon à prendre… »
– Albert Camus,
La chute


Une bonne semaine, somme toute. Aux bas maux, trois condamnations, coups, sur coups, en autant de jours et pour autant de cons – damnés. Conrad Black, le 10, Vincent Lacroix, le 11, puis Alberto Fujimori, le 12. Avec des nouvelles pareilles crachées au réveil radio, ça commence plutôt bien une, deux, trois journées. Tout pour vous redonner confiance. À ce rythme, qui sait si douze autres apôtres ne gagneront pas leur enfer pénitentiaire avant noël, sans possibilité d’évasion vers autant de paradis. Mais que reproche-t-on à ces trois larrons? Si peu, sinon…

Le premier, dit The Dark Baron of Crossharbour, magnat de la presse et maniaque de finances, aurait fraudé pour 80 millions de dollars, laissant dans son sillage autant de victimes flouées – partenaires, actionnaires, contribuables…Résultat des courses : 78 mois de prison et…125 000 dollars d’amende. Biographe à ses heures, sans doute aura-t-il désormais amplement de temps libres pour s’attaquer, après ses chef-d’œuvres historiques et littéraires sur Nixon et Duplessis, aux histoires rocambolesques de ses homologues A. Anderson (Worldcom) et Ken Lay (Enron) qui, blancs comme neige tout comme lui, n’y étaient pour rien et, pour un temps du moins, n’y sont d’ailleurs plus. Faut bien faire place à la relève…

À ce propos, la deuxième étoile de la semaine revient à Vincent Lacroix dit le petit boxeur – on lui reconnaîtrait certains traits physiques avec Père & Fils Hilton. Fondateur et PDG de la frime de fonds de placements Norbourg, le fraîchement crucifié – à tort, cela va de soi – aurait pour sa part du gâteau fraudé 9200 investisseurs pour la modique somme de 130 millions de dollars. Reconnu coupable à 51 chefs d’accusation – manipulation de fonds, falsification de documents, etc. – déposés contre lui en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, il devrait invraisemblablement purger une peine de 12 ans moins un jour et verser une amende équivalente à…0,0019% du montant floué. Ce qui lui laissera également amplement de temps – et d’argent – pour planifier l’usage des quelques 35 millions de dollars toujours disponibles qui l’attendent impatiemment aux Bahamas et aux Îles Caïman.

Quant au dernier – et non le moindre – illuminé, il n’est pas en restes. D’origine japonaise, Fujimori aura digéré le Pérou du 28 juillet 1990 au 20 novembre 2000, date à laquelle il annonce sa démission, aussitôt refusée par le Congrès qui le destitue dès le lendemain. Pourquoi donc? Le Chinois tel qu’on surnommait ce typique péruvien de souche (sic) aurait plus d’une mygale – araignée géante – dans son placard. Avec la complicité du Groupe Colima – escadron de la mort –, il aurait présidé à une série de meurtres, disparitions et lésions graves – stérilisations forcées incluses! Dans la foulée, il aurait raflé 2,3 millions de dollars US d’aide japonaise, prévus pour la construction d’écoles. Mercredi 12 décembre dernier, il en prend finalement pour six ans.

C’est peu, vous me direz, pour des calibres moyens de leur trempe; on est encore loin des grosses pointures. Certes, mais c’est déjà ça - la théorie des petits pas. Heureusement, ils n’ont pas cramé avant le dernier coup de marteau, comme Milosevic et Pinochet. La justice humaine, si faillible soit-elle, a pu frapper avant la divine devant laquelle on ne fait pas appel... Le trio peut désormais rentrer dans l’ombre l’esprit tranquille en se comptant plutôt chanceux d’être né en cette époque civilisée que la nôtre. Sous d’autres cieux, on brûlait vif les suspects pour moins que cela.

Mais « on ne peut pas condamner un homme (en entier) parce qu’il est à moitié une ordure » disait Gary dans La bonne moitié. Soit. On peut toutefois encore se replier, non pas sur ce qu’Il Est ou semble être, mais bien sur ce qu’Il a fait…ou n’a pas fait. Car ce qui permet au mal de triompher, c’est n’est pas tant l’action débile et délibérée du vilain et du salaud que « l’inaction des êtres de bien » (Burke). Mais on ne juge ni ne condamne guère ces derniers. Si tel était le cas, « ça ferait des têtes en moins et des chapeaux en trop… » Ce Général! Quel sens de la répartie!

Certes, ils sont légions ces petites gens à se lever chaque matin, à reculons mais de bonne fois, pour mettre la main à la pâte et l’épaule à la roue, à l’usine, au chantier, voire au bureau…sans pourtant savoir, ni même se douter qu’ils contribuent ainsi à perpétuer le cercle vicieux de l’exploitation de l’homme par l’homme. Or s’ils savaient, comme en témoigne un récent sondage britannique, 86% des citoyens refuseraient de participer au commerce inéquitable qui prévaut encore aujourd’hui. Ça n’empêcherait guère les fraudes illégales, direz-vous. Mais ça diminuerait de beaucoup les autres, majoritaires, dites légales, belles et biens létales.

Pour suivre à la loupe les folles mésaventures des louches lascars, individuels ou corporatifs, consultez :

http://www.trial-ch.org/track impunity always
http://www.corpwatch.org/holding corporations accountable

Parce que ce qui fait la différence, c’est la vigilance.