Crédits Photographiques: Toronto International Film Festival Group.
Gilles CARLE
« LA NATURE D’UN CINÉASTE »
Éditions Liber, 1999.
Éditions Liber, 1999.
« T’arrives d’où? » Question en apparence banale, comme le « Comment ça va? » commun. Réponse : « De l’Île Verte. » Réaction : surprise. Je précise : « C’est une petite île, comme son nom l’indique. Dans le Bas du Fleuve. » Le pilote s’illumine : « C’est pas l’île du cinéaste...comment déjà? Gil… » Carle, Gilles Carle. On me fait le coup à chaque fois.
À l’été 2005, en découvrant ce coin de paradis que je ne devais plus quitter quinze mois durant hormis quelques sorties ponctuelles, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait : sur un rocher verdoyant de vingt-cinq kilomètres carrés, une petite communauté, soudée à froid, entourée d’eau, d’air salin, de colonies d’Eder et de sapins, de troupeaux d’agneaux…
Mais je ne suis pas là pour vous ressasser tout ça. Non. C’est juste une mise en contexte.
À l’époque donc, je n’avais jamais entendu prononcer le nom de Gilles Carle. Primo : non, ce n’est pas son île. Deuxio : oui, il y a longtemps habité, avec sa muse Chloé Ste-Marie. Troisio : ils ont a dû vendre et quitter les lieux pour des raisons de santé.
Il m’a fallut encore deux ans avant d’entrouvrir la porte sur le monde fascinant de ce cinéaste prolifique pourtant méconnu. Avec « La nature d’un cinéaste » parue en 1999 chez Liber, je le découvrais enfin. Un peu. Comme pour l’île, j’ai tout de suite aimé.
Sorte de recueil autobiographique, ce trésor de petit bouquin brosse un portrait éclectique d’un homme, d’un artiste, un artisan dis-je, tout aussi éclaté. On y trouve bien plus qu’un (trop bref!) exposé coloré de ses premiers pas en terres d’Abitibi, de ses premières armes derrière la caméra, de ses derniers pas sur la petite île verte. Carle inclut ainsi des articles de 1959 (Nouveau Journal) comme de 1991 (L’actualité) traitant de sujets les plus divers et combien divertissants : le cinéma et la télévision, certes, mais aussi l’histoire, la culture, les artistes. On y décèle le sens de l’observation, l’esprit critique, l’humour même, du cinéaste.
Suivent tout aussi généreusement plusieurs de ses poèmes qui transpirent de sa passion de vivre, aimer, créer…et de tous les tiraillements que cela implique. « C’est l’amour total Amour canni cannibale. » Faut dire qu’une vie bien remplie creuse l’appétit. « Je ne sais même pas très bien ce dont j’ai eu besoin : c’était une fringale légère… » Ça, c’est de Saint-Exupéry. Ça correspond bien, je crois, au personnage de Gilles Carle qui, comme le père du Petit Prince, agrémente ses textes d’autant de croquis, tous croquants, où le porc-épic est à l’honneur : « Hérissons-nous! »
Le recueil se termine avec une pièce théâtrale de son cru intitulée « Le Gland. Huis clos en deux parties » qui aborde simplement les grands problèmes de notre civilisation : vie, mort, sexe, santé, saturation. Et pour conclure : « Mon épitaphe. Je vous l’avais dit que j’étais MALADE! » Vrai. Serait-ce l’homme qui tremble devant l’artiste? Les deux sont pourtant atteints du Parkinson, comme le grand Mohamed Ali. Sans doute pour s’être battu toute leur vie.
Malade? Vrai. Mais je préfère encore conclure avec un extrait de poème – le tien :
« oui je me sens plus calme
plus tranquille
il y a toujours du bon
même dans l’homme le plus vil
plus tranquille
il y a toujours du bon
même dans l’homme le plus vil
je le crois
je le crois
je le crois »
Paix à ton âme, bien avant ton départ.