vendredi 9 février 2007

HOMMAGE À LA RÉSISTANCE PACIFIQUE

Un à un, les membres du groupe s’installent devant et comme nous : à même le sol. Prend alors la parole, non pas le vieil hagard ou le grand gaillard, mais une jeune femme, radieuse. Veuve de l’environnementaliste Charoen Wataksorn, Korn-uma Pongnoi nous expliquera deux heures durant comment et pourquoi la petite communauté de Bo Nok est devenue mondialement célèbre.

Le couple, qui s’installe dans ce petit village côtier en 1983, vit paisiblement des fruits de la terre, notamment des ananas. Dix ans plus tard, leur vie est bouleversée quand ils apprennent que des terres publiques voisines sont vendues en douce. Elles devront servir à la construction d’une centrale au charbon. Aux dires des promoteurs, publics et privés, ce projet de huit cents millions de dollars US (trente-quatre milliards de bath) est « essentiel à la sécurité énergétique du pays. »

Après une série de démarches infructueuses pour faire annuler le projet qui menace « la santé et l’intégrité des lieux et des habitants », la communauté s’organise. En 1997, les premières manifestations publiques massives voient le jour. En décembre 1998, vingt milles villageois bloquent l’autoroute nationale, artère vitale reliant le nord au sud du pays. L’événement, majeur, projettera Charoen Wataksorn sous les feux de la rampe.

S’en suivront une série de manœuvres de la part des promoteurs destinées à diviser la communauté, à faire dérailler le mouvement d’opposition et, surtout, à discréditer son jeune et charismatique leader. Harcèlement, persécution, menaces verbales et physiques, poursuites judiciaires seront alors le lot des plus activistes d’entre eux. Survivant à l’incendie de sa maison et à trois « tentatives d’assassinat », Charoen poursuivra sans relâche son combat en faveur d’une réelle justice communautaire et environnementale. Aux promoteurs qui lui offriront trois cent milles dollars US (douze milliards de bath) en échange de son désistement, il avouera préférer humblement manger, tête haute, trois repas par jour en compagnie des siens.

L’acharnement du mouvement aura finalement raison du projet, abandonné par le gouvernement Taksin en 2002. Aux risques potentiels d’une centrale au charbon sont bientôt substitués ceux, bien réels, du pillage des terres désormais disponibles. Après avoir témoigné devant comité parlementaire sur l’implication d’officiels de haut rang du gouvernement dans le transfert des terres publiques aux caciques locaux, Charoen est froidement assassiné le 21 juin 2004.

Tragique conclusion? Certes, la femme, la famille, la communauté et bien d’autres encore qu’il a su inspirer, à l’intérieur comme à l’extérieur du Royaume de Thaïlande, pleurent le départ brutal de leur époux, le fils, leur frère. Mais à travers le deuil, douloureux, plusieurs puisent dans la vie et la mort de Charoen un exemple de courage et de persévérance devant l’adversité. Comme la communauté Pulupandan, à Negros, aux Philippines, qui a su empêcher l’implantation chez elle d’un projet similaire à celui de Bo Nok. Combien d’autres mériteraient à tirer les leçons d’une telle résistance pacifique? Des légions.

La rencontre se termine au son d’une chorale de moines qui récite discrètement en chœur et canon une série de mantras envoûtants. Nos hôtes se lèvent; nous aussi. Notre interlocutrice, Korn-uma, nous invite à nous joindre à elle afin de poursuivre notre « visite » dix kilomètres plus loin, dans son restaurant au bord de mer. Après un repas des plus délicieux confectionnés par ses bons soins, dégusté les deux pieds dans le sable, une ballade sur la plage pratiquement déserte nous confirme les raisons, les passions de la résistance des siens.

Combien de pays, de paysages, de coins de paradis doivent encore être saccagés? Aucun. Combien doivent être sauvés? Des milliers. En fait, tous, et chacun. Le développement d’un pays, d’une nation, ne doit jamais se faire au détriment de ses communautés et, nécessairement, des écosystèmes où ils vivent. Ça, ça n’a pas de prix. Aucune statistique n’en tient réellement compte. Comment le pourraient-elles, d’ailleurs? Le bien commun, le bien être humain ne se mesure pas. « Small is beautiful. »