NOTE: Inspiré de la Conférence annuelle CUSO-Thailande 2007. Pour plus de détails, consulter: http://cuso.wordpress.com
Chaque jour, des milliers d’animaux sauvages sont brutalement arrachés à leur habitat naturel et familial. Question de garnir la table des bien-pansus, certes, mais aussi pour répondre aux caprices les plus extravagants de ces derniers…Certains préfèrent ainsi cuire, voire dévorer côtes de bœuf ou cervelle de singes…vivants. « Ça préserve les propriétés », de préciser un mordu qui préfère garder l’anonymat. La nouvelle bourgeoisie asiatique – chinoise, surtout, mais aussi japonaise, sud-coréenne… – raffole particulièrement de ces proies exotiques chassées non seulement dans le Royaume de Thaïlande, mais importées d’aussi loin que la région des Grands Lacs africains ou du Bassin amazonien.
C’est pour palier à de telles aberrations que le Wildlife Rescue Center http://www.wfft.org/a vu le jour avec le présent millénaire. Situé sur les terres du temple bouddhiste Kao Look Chang, à Amphoe Thayang, province de Petchaburi, au sud-ouest de Bangkok, le Centre accueille ainsi les victimes animales de la barbarie inhumaine. Il éduque aussi le grand public sur les causes et conséquences multiples de cette barbarie : en tête de liste, la dégradation des écosystèmes et, incidemment, des égocentrismes.
« Je n’ai aucune compassion pour l’homme. Ceux-là en tous cas, et bien d’autres encore. » Solide gaillard d’origine polonaise, le fondateur et directeur du Centre, Edwin Wiek, ne tarit pas de commentaires pour expliquer la situation et ainsi mieux la dénoncer. Grossièrement, des êtres sans vergogne ni vertu pillent la nature – lacs, forêts, marécages, etc. – pour en tirer profit et se garder un ou deux trophées dans la foulée, en guise de pieuvre à conviction.
Leur raisonnement est simple, sombre, sinistre : « Je peux me le procurer, donc: je suis puissant et important. » Pissant! Impotent? Dans cette chasse sans merci, on tire sur tout ce qui bouge. Et quand ça ne bouge plus, on en tire tout ce qu’on peut, y compris tonifiants et aphrodisiaques. Car les couilles de bouc, comme les cornes de rhino, ont aussi leurs vertus magiques (!?) pour certains fanatiques. Des goûts étranges qui rappellent ceux de guerriers sanguinaires, moitié mystiques, moitié cannibales, qui se gavent notamment du sang de leurs victimes pour s’en approprier les pouvoirs!
Les cas moins chroniques de gourmandise se contentent d’un peu moins. L’aine si tendre des tortues nourrira encore les fins gourmets, sa carapace étant récupérée comme pseudo armure de collection suspendue au-dessus du foyer. Même chose pour l’éléphant – qu’on retrouve d’ailleurs en Thaïlande plus nombreux en captivité qu’en liberté – : une corne derrière le bureau, certes, mais un pied vidé comme porte parapluie à l’entrée…et l’épaisse peau ridée en guise de rideaux. Notre guide, méditatif, fait une pause. « Vous n’avez pas idée! »
Oserions-nous?
La visite se poursuit, cents commentaires et autant de pensionnaires à l’appui : un couple éléphantesque jadis cerné par les coupes forestières massives qui sévissent à la frontière birmane; un tigre du Bengale au système moteur défaillant, sous et mal alimenté par le zoo notoire du sud qui l’a récupéré en bas âge; une femelle macaque aveugle et son fils unijambiste – une seule patte, sur quatre! – pour cause d’alimentation infestée aux pesticides; et ainsi de fuite.
« Et ce ne sont là que les survivants », de préciser un Edwin dégoûté. Car pour chaque individu capturé, dix autres meurent. Quand ce n’est pas le jeune fils ou l’amant vieillissant qui vient mourir sur sa bien-aimée agonisante, comme chez certains félins, c’est une balle perdue, deux de retrouvées, trois…Pour se farcir une proie, idéale ou non, le braconnier a souvent recours aux plus vieilles techniques : blesser la femelle pour appâter le mâle. Dans la foulée, c’est toute la portée qui risque d’y passer.
Pour relever les défis, énormes et nombreux, de la conservation de la vie animale, le fondateur a dû multiplier ses axes d’intervention. Avec un certain succès. Certes, le Centre offre une clinique mobile – « la seule de la péninsule indochinoise! » – et un refuge sanitaire, salutaire, idéalement temporaire, pour plusieurs centaines de bêtes sauvages handicapées de leur corps ou de leur habitat. Mais, approche tout aussi importante, sinon plus, un programme d’éducation des plus diversifiés a été instauré afin de changer les mœurs, des plus petits aux plus grands.
Des visites guidées fort animées amènent rapidement les groupes d’étudiants comme de touristes à comprendre qu’ils sont loin des zoos et autres parcs d’attractions zoologiques auxquels ils sont plus familiers. Et tout ça, gratuitement! Ou presque. Certes, les dons sont bienvenus, mais la formule a ceci d’original : un examen à la sortie permet d’évaluer l’apprentissage des visiteurs qui, s’ils échouent, doivent recommencer la visite, l’examen, ou payer une « taxe à l’échec » symbolique.
Le Centre dispose également de l’infrastructure nécessaire pour accueillir des volontaires – chaque année plus nombreux – en provenance des quatre coins du monde. Pour cents dollars US par semaine, ces apprentis zoologues sont ainsi logés, nourris, instruits, en échange d’un coup de main quotidien dans les soins animaliers : préparation et distribution des rations alimentaires quotidiennes, aménagement des sentiers et autres facilités, compilation de données scientifiques...Une idée originale, efficace, qui permet d’atteindre une partie des objectifs éducatifs et financiers.
Et comme l’éducation des visiteurs ne suffit pas, il faut aller de l’avant : collaborer avec les différentes instances, dont le Département Forestier Royal, dans l’application et, idéalement, l’approfondissement des législations existantes. Par-delà l’ignorance et l’insouciance du commun des mortels, la complaisance, voire la complicité de certains représentants de l’autorité, en amont comme aval de la chaîne hiérarchique, contribuent en effet à aggraver la situation, déjà précaire, de milliers d’espèces animales.
À cet égard, la Thaïlande est un échantillon du carnage qui se produit à l’échelle planétaire. « Le commerce des bêtes exotiques est plus que florissant, souligne notre guide. Pour l’Asie seulement, ça représente plus de six milliards de dollars US. » Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Partout dans le monde, des légions d’animaux sauvages sont victimes de la folie humaine, délibérée ou non. Pour chaque bête froidement abattues pour ses vertus, des milliers d’autres périront par négligence : les gorilles argentés des Grands Lacs africains qui explosent mine de rien, les nuées d’oiseaux noyés dans les marées noires…Questions de priorités.
La visite tire à sa fin. Devant nous, un crocodile de six mètres roupille sous l’ombre torride du midi. Quelques mois plus tôt, il échappait à la vigilance de son propriétaire, un chef de police locale ayant négligé de fermer la barrière sous clef. Appelé sur les lieux, Edwin Wiek a contacté son ami « The Crocodile Hunter », feu Steve Irwin, qui lui donna ce conseil en guise de conclusion : « Une fois dessus, ne pas lâcher. »
Comme pour ses passions.
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