dimanche 17 décembre 2006

SI SOL, OH! MONDE!

Hommage à Sol

Oh! Mage. Ah! Sol.
Un an déjà et toujours aussi chalutier, petit cachotier!
On a pris la haute mer pour remonter à la souche?
Je comprends. Prend tout ton temps.
On est toujours patient, on trouve toujours le temps
Pour ceux et celles qu’on aime tant tellement.

Certes, et pourtant,
La Scène peine à te remplacer,
Et dans les salles, combles de désespoir,
On t’attend toujours. On croirait presque t’entendre,
Bien patients devant la poubelle, impassible.

T’inquiète! On a fait le mélange d’automne.
Tout est presque propre, prêt, pour la fuite de choses.
Ce serait, oh! Dieu, rien détonnant comme tu rirais.
Rien pour te faire dresser les chevaux sur la fête.

On a tout préparé pour tenter de t’honorer.
Jamais trop tard aux dires de l’horloger
Pour célébrer ton passage, ton départ, tes détours, ton retour.
C’est un grand destin, mieux qu’une banquise, qui t’attend, t’espère.
C’est le tout-Québec, bien gratiné, qui se dore, t’adore, t’implore.

Et avec toi, on n’est presque pas tout Sol pour manger ce soir à ta Stanké!
Un petit casse-gueule? Essayez-moi ces chefs-d’œuvre!
Qui sobre le champagne avant que les initiés ne dégrisent?
Un filet de Sol à l’ombre des éperlans? Attendez de voir le désert!
Les plus friands disent pourtant que tu seras en retard.
Moi, je suis sûr que tu seras fidèle,
Sans costard. Juste un pare-dessous. Enfin, patience. Silence.
Voici le plateau de résistance. Bon apéritif!

T’es où, têtu? Tu t’es tu, muet comme carpe diem! Où te terres-tu?
Te serais-tu enfouis loin de la cohue sans prévenir, petit Merlin!
Comme ce trésor sans frousse ni trousseau que tu es.
Poches vides, tête légère, cœur plein, tremplin, presque trop plein.
Tu me sembles si lointain, pire que Tintin.

T’as suivi ton étoile, mieux, tu as tracé la voix, fier, fidèle et rebelle.
À moins que tu ne te sois fait choper par les sévices secrets?
C’est vrai qu’ils n’entendent pas à rire ces temps-ci non plus.
Et puis d’ailleurs, ils n’aiment pas trop les farces à claques!
Ils ont voulu te faire chanter? J’imagine ta réponse, torse bombé :
"Mais je sais pas!" Ils n’ont pas dû aimer ça.
Car ils mettent les bouchers doubles pour trouer des coupables.
Ils condamnent des innocents pour moins que ça, tu sais,
Sans souci pour les pieuvres à conviction.
C’est vrai que trois cœurs et huit pattes suffisent à peine
Pour survivre en ce beau-monde – même soûl les eaux.

Mais j’y panse. C’est peut-être pas si grave.
As-tu seulement posé la plume, levé l’encre pour mieux t’envoler?
Ou bien tu as largué les amarres pour aller narguer autre part?
Ah! Marre, marre à la fin! Il fait noir, faim, froid, et soif.
Soif de toi, de ce devin, divin, ce verbe, cette verve unique,
Onirique, qui rassasiait et réchauffe encore tant nos foies.
C’est la famine ici-bas, le perplexe solaire tout en boule.
On se retrouve sans toit, perdus, sans voix pour nous guinder.

On vivait, virevoltait pourtant bien avec toi, vivace, fugace, vivifiant,
Les pieds sous terre, bien au chaud, la tête en l’air, bien au frais.
Tu mettais, agile, volubile, les justes mots sur l’injustice de nos maux.
Et dieu qu’on se payait leurs têtes de trucs!
Ça doit bien faire…Combien, un bail, douze mois? Dis-moi.

* (Pour des raisons de circoncision, de contrition, de concision dis-je,
La suite se trouve, s’égare après ce qui suinte, ce qui suit, soûl la rubrique "La fuite.")


(Mais je vois hélas que je m’égare, hagard.
Ya tout de même mieux à faire et à dire.
Et si long parlait de toit.
Car je ne t’écrie pas pour te parader de tout sale.
Tu en as déjà vu diantre!
Et quelque soit l’endroit où tu te trouves,
Tu dois sans doute recevoir de nos nouvieilles.)

Non je t’écrie pour ça, louer ta mémoire.
Je sais, ça n’a pas de prix, mais je me suis épris à mon propre jeu.
Je sais, je sais aussi. Ça t’es régal.
"Point d’hommage" tu disais.
Dommage, car je me fais un point d’honneur
De sortir pains, fromages, et ce n’est pas sans levain.

T’as vu le jour en pleine crise écornomique, à la faim des années fioles.
Mais tu ne t’es pas épargné pour autant. T’as su émerger de tes éprouvettes.
D’abord un court destin publicitaire,
Mais comme tu n’étais pas démagogue à plat vendre plein,
T’as préféré, démocrate du choeur, par et pour le coeur, le long festin.
T’as levé les voiles et du haut de ta vigile, élevé la voix.
Je me rappelle encore – quel coup de théâtre!
"Nouveau Monde en vie!" Premier prix de comédie en prime.
Trois ans plus tard, tu repars, et tu dis "En France!"
Mais tu reviens vite, vif, dès cinquante-sept,
En bon "Survenant", en pleine "Jeunesse dorée."

C’était pas tes plus drôles, quand soudain, "La Boîte à Surprise!"
Sol! Enfin! Vois! Le jour! "La terre! Terre! Terre!"
T’as toujours su garder le pied bien posé dessus, malgré tes envolées.
Sol. Un drôle de moine aux traits coloriés.
Sol le clown, le clochard, vif et naïf, qui sonne les cloches.
"L’enfance de l’Art, c’est la jeunesse du coeur" tu disais.
C’était, c’est ça Sol : un coeur d’enfant dans un corps d’artiste.

Ça commence en duo, avec Bim et Sol, puis Sol et Bouton.
Ah! Sol et Gobelet aussi. "Un fou" dira Luc durant dix-neuf ans.
Les émissions, télé-actives, rien de nocives – bien au contrire –,
Étaient prévues pour les enfants, mais les adultes ont vite compris.

Un jour tu es parti en solo, comme tant de clodos,
Multipliant les chauds et spectaculaires,
D’Esstradinairement vautre à Prêtez-moi une oreille attentative,
En passant par Je mégalomane moi-même et Le Fier Monde.
Petit à petit, élégant, tu as grandis, éloquent, et combien loquace.
Autant de prestations qui te méritèrent des pas trop fées.
Mais bon, faut ce qui faux.
T’avais tout ce qui faut, que du vrai, imper-manteau et toux,
Mais on n’est pas tous être Raie, Mont, L’évêque!
Pour refuser les horreurs. On peut encore redorer son blason!
Pied-de-nez aux notoriétés.

D’abords le médaillon de l’ordre des francophiles d’Amer-Mixte en 1989.
Puis on te fait Chevalier de l’Ordre national du Québec, en 1995.
J’ignorais que tu montais à cheval, mais ça ne m’étonne guère.
Tu faisais si bien, cavalier Sol.
Ils ont récidivé trois ans plus tard, pour ta renommée,
Chevalier, de l’Or des Pléiades sept fois. Que dis-je!
Ces sept filles, d’Atlas, pourchassées par Orion,
Transformées en étoiles par Zeus lui-même.
Dans le ciel de minuit, seules six sont visibles,
La septième n’étant aperçue que des yeux perçants.
On t’a à l’oeil.

J’ignorais que tu as fait aussi l’armée. Enfin, c’était naguère.
Fin finalement gradué Officier de l’Ordre du Cadenas en deux mille trois.
Comme disait le grand Farfadet, lourd de son fardeau :
"Les boeufs sont lents, mais la terre est patiente."

Enfin, rien à voir avec La Palme d’Art en mémoire de George Émule,
Pour ta contrition remarquée à l’ameilleuration de la longue franchise au Québec.
Plutôt original quand on sait que tu déformais les mots pour mieux les réformer.
Dans le genre de Vian, mieux même, rien de déviant, tout juste défiant.
Du géant! Que dis-je! Du génie!

"Il a fait un cirque de lui-même" disait Gilles Vignoble.
Et dieu sait qu’il s’y connaît en la matière.
Car c’est beau les cirques, les fêtes folles et foraines.
C’est plein de frais, de vérifié, nu, souple.
Le faîte des célébrations avec ses bêtes, humaines et animales,
Enfin rassemblées, qui s’animent et s’illuminent,
Qui amusent la foudre, amenuisent la folie.
Et la galle rie, guérie à te voir danser sur tes guéridons.

"Un cirque de lui", bourrée d’effet spéciaux, presque explosifs.
Capable de jouer tous les drôles à la fois,
Plus agile qu’un éléphant sur son ballon.
Plus fluide qu’un caméléon sur l’arc-en-ciel.
Cracheur de feu, de foi, de fables.
Avaleur de sable, jongleur de mots.
Équilibriste, contorsionniste, trapéziste du verbe.
Druide, alchimiste, mage et magicien de la langue, heureuse.

Un orchestre en peluche, capable de jouir de tous les instruments.
Tu savais aussi bien chatouiller le harpon que l’harmonieuse,
Essouffler fiévreusement autant les bas sons que les hauts bois.
Une mélodie en soie quoi, une symphonie, en un seul âne.

Et quel sportif! Olympique, épique.
Escrimeur qui vise juste tout en esquivant.
Plongeur qui n’a pas peur de se mouiller.
Sprinter, coureur de fond ou à obstacles
Qui s’affranchit sans sourciller des distances,
Des fonciers, des frondeurs et des frontières
Pour mieux faire sursauter les barrières,
En hauteur comme en longueurs et autant de largesses.
Fier lanceur de pois, de javelot et de marteau.
Un talentueux à couper le sifflet.

À bien m’y pencher, pensuif,
Je me rappelle maintenant la première foi.
J’avais huit ans, mon père quarante.
Ça, ah! Ça été le coup de foudre.
Je suis tout de suite tombé en humour,
Du premier au dernier numéro.
Mieux qu’à la loto; je gagnais coup sur coup.
Je suis resté sidéral devant toi,
Comique cosmique. Rien de cosmétique.
Pour moi, tu étais hier et reste encore aujourd’hui
Un père noël, une prière nouvelle,
Avec son sac bourré d’histoires,
Enivrantes, émouvantes, époustouflantes. Essoufflant.

C’était le déluge, d’un sublime plein de subtilités, précises.
L’économie pouvait s’engourdir, s’engloutir,
Et dehors, l’air se refroidir, se glacer, se mettre à neiger.
Nous, à tes côtés, on était encore tout réchauffé.
Mieux qu’un feu de foyer, de camp, de forêt, de joie.
Quelle fumisterie!
Et quelle énergie! "Un paquet de nerfs", disait encore l’hôte,
"Bien ficelé", mieux que les broderies de Bruges.
Doigté d’une finesse d’araignée,
Tu recréais, revigorais les mots, la langoureuse.
Tu mets tout en lumière, hors du joug, sous son jour vérifable.
Un univers en soie, solide comme du rock, agile comme un orque.
Un massage universel! Ça délire les langues, les tensions.
Et ce don de me faire pleurire!
C’est si bon pour la santé. C’est vrai!
Rabelais comme Rubenstein le disait :
C’est tétrapeutique : bon pour le cœur, le corps, l’âme, l’esprit.
Tu es ce que le franc, sait, a connu de plus beau. De plus frais. Vrai!

Tant tellement qu’on ne voulait, on ne pouvait plus sortir à la faim.
Mais, pas le choix. Tu devais bien retourner à la ruse.
Nous, on ressortait Gandhi de ces soirées passées en ton humble compagnie.
Finies la phobie des grandeurs : la vie est trop courte pour être petite.
Ton départ, comme celui de grand-mère, partie au ซ diable vert ป, le confirment.
C’est comme en haute merde :
Faut être bon matelot pour suivre tel capitaine.
Un récif n’entendait pas l’autre.
"Mirage à tribord, rivage à bobards!"
Même devant le naufrage, il faut garder le cap, maintenir l’équilibre.
La seule solution reste encore de continuer.
Et s’il t’arrivait un pépin?
Je veux bien reprendre le flamboyant, mais c’est pas faucille.
Faudra encore aiguiser les larmes, aiguiller les railleurs.

Je les entends déjà qui la ramène.
Des francs pharaons qui se la jouent sur notre Do.
Ils se Ré-unissent à Huit-clos, nous Mi à part.
Mais ça ne se passera pas comme Fa.
N’est-ce pas Sol? Sol, tu es La?
Sol? Si seulement tu étais La.

Las?
"La cigarrête!" disait la pub.
Du coup, je me suis dit, en m’allumant : ça va faire un tabac!
Rien à faire. Mon médecin de fourmille y a succombé.
Je te sais bien coriace; t’as jamais flanché.
Et nous, jamais on se lassera, jamais on ne te lâchera.
Mais si ça continue, c’est ta santé qui va flancher,
Un peu froissée, fanée, à peine fâchée.
Certes, de mon côté de cheminée, je fulmine toujours au temps.
Mais j’ai à peine trente ans, toutes mes dentelées.
Et puis comme je te l’ai d’or et déjà dit:
Ne nous quittes ou double jamais!
Car on ne veut surtout pas te pendre, te perdre.
Vas-tu te rendre à soixante-dix-sept ans?
Mais tu n’as pari. Tu Es quand même pardi!

"Petit bisou" de ta douce mousseline qui sommeille auprès du feu,
Apprivoisé du bois que tu coupais encore sept semaines avant ton départ.
Nous, on te fait la brise aux quatre vents, en t’attendant.
C’est certes pas la tienne au soir de la Saint-Jean,
Mais c’est la nôtre, à toi, notre hôte, toi qui nous a appris
À dire merde et merci quand il le faut.
Toi, notre hôte, qui sais si bien y faire, défier, déferler.

Je viens de recevoir un coup de Phil d’outre-mer.
Tu ne pourras pas te joindre à nous ce soir :
Retenue au-delà des porches de Saint-Pierre,
Apparemment, petit garnement.
Je dirais comme chantait Chant-Prière Fervent,
Eh! beau bonhomme, serais-tu devenu un ange?
T’inquiète, ce n’est que patrie remise,
Car comme tu le disais si bien :
"On a beau faire le saut toute sa vie,
Ce qui compte c’est toujours le dernier moribond."
Vrai!
Prend grade où tu mets les pieds,
Car j’ai eu vent qu’en posant ton pied, nu, sûr, le Sol lunaire s’est éclaté :
"Un petit pas pour l’âme, et un pas de géant pour l’humilité."

- Ceci est mon pommier, mais non le denier, hommage à Sol.