vendredi 29 décembre 2006

Éloge de l'absurde

Elvis Gratton XXX : Le retour d’Elvis Wong
De Pierre Falardeau, avec Julien Poulin
2004

« Le pire film de Falardeau » qu’ils disaient. Pour ma part, il s’agit sans doute là de son meilleur en date. À peine plus vulgaire que les aberrations qu’il dénonce, le dernier-né des Grattons combine habilement art contemporain et critique acerbe, absurde délirant et réalisme déroutant.

Finie l’époque du garage ou de la scène! Elvis a déposé le micro pour la caméra. « La presse est à vendre!? » Qui d’autre que lui pour diriger « Radio-Cadenas » et « digérer » l’information? Le propriétaire de Télé-Égouts doit bien s’y connaître en la matière. D’entrée de jeu, on touche déjà au cœur du film : « La convergence. C’est comme une pompe à marde : tu pars la pompe, pis une fois que c’est parti, ça pompe tant qu’y en a à pomper.
Du jour au lendemain, la star Elvis Gratton se voit ainsi promu à la « tête » d’un immense empire médiatique, qui inclus non seulement la Station d’État privatisée, mais également: stations secondaires, médias écrits…Tant qu’à être parti, autant réaliser un « film d’auteuse » sur la vie du p’tit gars de Brossard, voire même organiser un show télé-réalité pour lui trouver une femme de taille et de talent, prix de la « Gosse d’Or » en prime. Hilarant.

La simplicité, voire la banalité des scènes a largement été dénoncée. Mais les déboires d’Elvis, avec sa limousine parlante ou la standardiste automatisée par exemple, ne font que souligner l’absurdité de l’esclavage de l'homme à la machine. Même chose pour les scènes dévoilant successivement un Bob Gratton incapable d’assembler le « casse-tête » du Canada, occupé à jouer les sado-masochistes, ou encore obsédé par le « placement de produit » : le bête, la bête rougit, rugit, ressurgit derrière « l’homme ».

Mieux encore, plusieurs séquences drôlement artistiques surviennent et surprennent ponctuellement. Comme ces extraits du plateau de tournage où les Elvis Wong et Gratton s’affrontent sur des airs de Carmina Burana, ou encore les rêves en noir et blanc d’un Elvis déchu clochard. Autrement dit, ceux, nombreux, qui ont reproché au film de se borner au premier degré n’en n’on fait, justement, qu’une lecture de ce niveau.

Ce qui dérange avec Bob « Elvis » Gratton, c’est précisément qu’il dérange. Question de ton, de tons. Les réalités que dépeint le personnage de manière si colorée sont depuis longtemps sous la loupe des patrons et politiciens, des sociologues comme des citoyens. La convergence des grandes entreprises, la complaisance, voire la complicité des autorités, le vedettariat, l’acculturation, sans parler de la qualité de l’information : autant de fantômes qui rôdent discrètement ou qui hurlent désespérément. Si on ne « connais pas », ça se sait, se sent tout de même. Mais « si on n’en parle pas, c’est que ça n’existe pas. »

Falardeau, à travers Gratton, ne fait pas qu’en parler; il le mime. C’est comme une, deux, dix, mille caricatures de Chapleau. Et si l’on dit qu’une image vaut mille mots, le troisième des Elvis vaut bien quelques dicos. Les personnages, leurs dialogues, de même que la manière, bouffonne, voire grotesque, avec laquelle a été réalisé ce film se révèle fort éloquents. Difficile d’être plus clair. On dirait un film pour sourds, muets et aveugles.

Si les amalgames semblent parfois poussés à l’extrême, notamment entre un défilé nazi et les festivités du 4 Juillet (USA), ou encore entre les cérémonies mortuaires d’Elvis Gratton et de Pierre Elliot Trudeau, on ne peut reprocher au réalisateur d’exprimer, d’assumer jusqu'au bout ses convictions. Au-delà du portrait, sommaire, de la connerie humaine, énorme, le but recherché du film reste bel et bien le…bien-être. Pierre? « Rire pour le simple plaisir de rire, pour rester humain, pour oublier les horreurs du quotidien, pour oublier la mort, pour faire chier les bien-pensants. »

Couper!