« La richesse, cher ami,
Ce n’est pas encore l’acquittement,
Mais le sursis,
Ce n’est pas encore l’acquittement,
Mais le sursis,
Toujours bon à prendre… »
– Albert Camus, La chute
– Albert Camus, La chute
Une bonne semaine, somme toute. Aux bas maux, trois condamnations, coups, sur coups, en autant de jours et pour autant de cons – damnés. Conrad Black, le 10, Vincent Lacroix, le 11, puis Alberto Fujimori, le 12. Avec des nouvelles pareilles crachées au réveil radio, ça commence plutôt bien une, deux, trois journées. Tout pour vous redonner confiance. À ce rythme, qui sait si douze autres apôtres ne gagneront pas leur enfer pénitentiaire avant noël, sans possibilité d’évasion vers autant de paradis. Mais que reproche-t-on à ces trois larrons? Si peu, sinon…
Le premier, dit The Dark Baron of Crossharbour, magnat de la presse et maniaque de finances, aurait fraudé pour 80 millions de dollars, laissant dans son sillage autant de victimes flouées – partenaires, actionnaires, contribuables…Résultat des courses : 78 mois de prison et…125 000 dollars d’amende. Biographe à ses heures, sans doute aura-t-il désormais amplement de temps libres pour s’attaquer, après ses chef-d’œuvres historiques et littéraires sur Nixon et Duplessis, aux histoires rocambolesques de ses homologues A. Anderson (Worldcom) et Ken Lay (Enron) qui, blancs comme neige tout comme lui, n’y étaient pour rien et, pour un temps du moins, n’y sont d’ailleurs plus. Faut bien faire place à la relève…
À ce propos, la deuxième étoile de la semaine revient à Vincent Lacroix dit le petit boxeur – on lui reconnaîtrait certains traits physiques avec Père & Fils Hilton. Fondateur et PDG de la frime de fonds de placements Norbourg, le fraîchement crucifié – à tort, cela va de soi – aurait pour sa part du gâteau fraudé 9200 investisseurs pour la modique somme de 130 millions de dollars. Reconnu coupable à 51 chefs d’accusation – manipulation de fonds, falsification de documents, etc. – déposés contre lui en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, il devrait invraisemblablement purger une peine de 12 ans moins un jour et verser une amende équivalente à…0,0019% du montant floué. Ce qui lui laissera également amplement de temps – et d’argent – pour planifier l’usage des quelques 35 millions de dollars toujours disponibles qui l’attendent impatiemment aux Bahamas et aux Îles Caïman.
Quant au dernier – et non le moindre – illuminé, il n’est pas en restes. D’origine japonaise, Fujimori aura digéré le Pérou du 28 juillet 1990 au 20 novembre 2000, date à laquelle il annonce sa démission, aussitôt refusée par le Congrès qui le destitue dès le lendemain. Pourquoi donc? Le Chinois tel qu’on surnommait ce typique péruvien de souche (sic) aurait plus d’une mygale – araignée géante – dans son placard. Avec la complicité du Groupe Colima – escadron de la mort –, il aurait présidé à une série de meurtres, disparitions et lésions graves – stérilisations forcées incluses! Dans la foulée, il aurait raflé 2,3 millions de dollars US d’aide japonaise, prévus pour la construction d’écoles. Mercredi 12 décembre dernier, il en prend finalement pour six ans.
C’est peu, vous me direz, pour des calibres moyens de leur trempe; on est encore loin des grosses pointures. Certes, mais c’est déjà ça - la théorie des petits pas. Heureusement, ils n’ont pas cramé avant le dernier coup de marteau, comme Milosevic et Pinochet. La justice humaine, si faillible soit-elle, a pu frapper avant la divine devant laquelle on ne fait pas appel... Le trio peut désormais rentrer dans l’ombre l’esprit tranquille en se comptant plutôt chanceux d’être né en cette époque civilisée que la nôtre. Sous d’autres cieux, on brûlait vif les suspects pour moins que cela.
Mais « on ne peut pas condamner un homme (en entier) parce qu’il est à moitié une ordure » disait Gary dans La bonne moitié. Soit. On peut toutefois encore se replier, non pas sur ce qu’Il Est ou semble être, mais bien sur ce qu’Il a fait…ou n’a pas fait. Car ce qui permet au mal de triompher, c’est n’est pas tant l’action débile et délibérée du vilain et du salaud que « l’inaction des êtres de bien » (Burke). Mais on ne juge ni ne condamne guère ces derniers. Si tel était le cas, « ça ferait des têtes en moins et des chapeaux en trop… » Ce Général! Quel sens de la répartie!
Certes, ils sont légions ces petites gens à se lever chaque matin, à reculons mais de bonne fois, pour mettre la main à la pâte et l’épaule à la roue, à l’usine, au chantier, voire au bureau…sans pourtant savoir, ni même se douter qu’ils contribuent ainsi à perpétuer le cercle vicieux de l’exploitation de l’homme par l’homme. Or s’ils savaient, comme en témoigne un récent sondage britannique, 86% des citoyens refuseraient de participer au commerce inéquitable qui prévaut encore aujourd’hui. Ça n’empêcherait guère les fraudes illégales, direz-vous. Mais ça diminuerait de beaucoup les autres, majoritaires, dites légales, belles et biens létales.
Pour suivre à la loupe les folles mésaventures des louches lascars, individuels ou corporatifs, consultez :
http://www.trial-ch.org/ – track impunity always
http://www.corpwatch.org/ – holding corporations accountable
Parce que ce qui fait la différence, c’est la vigilance.