Le week-end. Enfin. Pour moi du moins, car une majorité de Thaïs travaille sans se lasser (?) six, voire sept jours sur sept, du matin au soir – et même au-delà. À titre d’exemple, la petite épicerie familiale à trente-huit pas de chez moi ouvre ses portes dès cinq heures du matin, pour les fermer vingt heures plus tard. Quand aux bouis-bouis de la rue, s’ils surgissent dans le quartier avec le crépuscule, c’est qu’ils préparaient les déjeuners dès six heures, puis les collations de dix heures, les dîners du zénith, les amuse-bouches de 16 heures, à trois kilomètres de là. Ça bosse dur quoi.
À 528 pas de « chez moi » se dresse chaque jour sur 300 mètres un petit marché, en bordure d’un boulevard secondaire, avec ses étales de fleurs et plantes, de fruits et légumes, de volailles et poissons, tous frais. Un vrai régal pour les sens (à quelques exceptions près : quelle est donc cette odeur furtive et pourtant tenace? Les fleurs fanées? Le poisson, mort? Les égouts gorgés? Mes sueurs froides? Qui sait! Passons!)!!!
Mais ce n’est rien comparé au marché de Chatuchak, au sud du parc du même nom, dans le centre-nord de Bangkok. Il y a deux mois, je visitais, déçu, le marché du vendredi, à Chonburi. Ici, c’est une toute autre aventure. On se croirait presque dans les souks de Casablanca (les seuls du genre que j’ai visité, en 2000; il paraît qu’à Beyrouth ou Bagdad, avant les bombardements, c’était encore mieux!) Des kilomètres couverts d’allées bondées de monde et bordées de boutiques. Le bazar, véritable labyrinthe, est si vaste qu’il faut se donner des points de repère pour éviter d’y perdre la boussole – et encore! C’est samedi, et le dimanche, encore pire! Mieux? Selon.
On trouve ici de tout, tout. Tout. Certes, encore la même marchandise seconde main qu’ailleurs, mais en quantité industrielle, littéralement : souliers usés, surplus de jeans, t-shirts « Europa », chemises à carreaux, pantalons trop longs (ils sont courts sur patte les Thaïs), complets vestons défraîchis, matériel militaire (vestons kakis US, vestes utilitaires, gilets pare-balle et masque à gaz inclus!), et même des équipements complets d’hiver, avec moufles, tuques, manteaux, foulards, mitaines, etc. Ne manque plus que les raquettes! Plutôt pratique (sic) à trente degrés Celcius par-dessus zéro. On se croirait dans le « comptoir vestimentaire du Sud. » En prime : d’autres vêtements de contrefaçon, des jouets de guerre, des bouquineries aux pages neuves comme usagées, des tonnes de CD-DVD-VCD piratés, et jean passe. « Ça va? » C’est la Thaïlande moderne, celle de la consommation.
Il y a bien sûr tout ce qui faut – ou presque – pour la maison, des meubles aux accessoires de cuisine, en passant par la décoration. Et surtout, des tonnes d’artisanat locaux : étoffes de tous matériaux, vêtements typiques du nord ou du sud, vraies et fausses argenterie, pierres précieuses (vigilance!), bijoux (dont ceux en or, derrière le proprio généralement chinois), toiles parfois superbes, sculpturales sculptures, tapis en tous genres, ombrelles de papier, chapeaux de forme, bibelots futiles, poteries soignées, masques mystiques, poupées de verre ou de laine, armes et amulettes, chandelles et cosmétiques, et ainsi de fuite. Sans bien sûr oublier (impossible!) les masses de kiosques alimentaires, où l’on peut se régaler de tout ce qui se mange : milk-shakes glacés aux fruits et légumes frais, grillades et marinades de viande ou d’insectes, salades chaudes ou froides, pseudo malbouffe à l’occidentale, et du riz, du riz, du riz, à toutes les sauces.
Dans la cohue, on croisera ainsi au passage : des enfants, des infirmes, une mère et son enfant qui joignent – on ne les tend pas ici – les mains en guise de reconnaissance pour les quelques pièces reçues; des musiciens déambulant, de l’orchestre de chambre au jeune saxophoniste solo, en passant par les quatuors classique, country ou trop pop; des agents de la paix en duo uniforme qui trouvent le temps de magasiner; quelques collègues aussi, si, si on les reconnaît à travers la folle, la foule dis-je; et bien sûr, des légions de touristes, immanquables, impayables! Et on retrouvera enfin son chemin vers la, les sorties, pour mieux rentrer chez soi après un brève halte dans le plus grand parc vert de la ville, aujourd’hui noir de monde : amuseurs de fous, vendeurs ambulants, jeunes couples, familles en pique-nique, enfants couraillant, lecteurs distraits, touristes blancs distants, zens bridés méditatifs ou contemplatifs, passants errants égarés, un journaliste et son cameraman.
Et les attentats dans tout ça? « Attentats? » Oui, vous savez, depuis ceux de la veille du jour de l’an. Un tel rassemblement, ça donne des idées! « Ahhh! Not really. It is here these people, so-called terrorists, come to rest, relax, and get fed. Nothing explosive! And what would they blow up here? » C’est vrai que les attentats visent surtout les symboles – idéalement sans victimes humaines. En passant, votre anglais est excellent! « I learned from books. » À l’entrée du métro, un vigile « fouille » sommairement les sacs, un à un. Plutôt symbolique, là encore, question de présence. Trois jeunes sautent les scellées pour s’engouffrer dans le tunnel. Pas le temps de les rattraper; on fait la queue devant l’entrée. Le soleil se couche bientôt, mais la vie, nocturne, ne fait que commencer.